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Paroles officielles de la chanson «Le Recit Du Soldat Rose 2» : Isabelle Nanty

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Paroles officielles de la chanson "Le Recit Du Soldat Rose 2"

Allons, allons, un Soldat tout rose, ça ne s’oublie pas ! Alors, vous vous souvenez forcément des histoires de Joseph, le petit garçon enfermé dans un grand magasin avec des jouets ! Made in Asia, la Panthère noire en peluche, le Conducteur du train électrique, ça vous dit quelque chose ? Et le Directeur du magasin qui a donné toutes les poupées à l’orphelinat ? Ça y est ? Vous y êtes ?

Aujourd’hui, comme tous les dimanches, Joseph, le Soldat Rose et sa petite Fiancée viennent rendre visite aux jouets de l’orphelinat. La Panthère noire en peluche les attend, allongée sur les marches de pierre de la grande bâtisse.
Elle s’adonne à son sport favori : la sieste !

Soudain, la grille du portail grince. Pas de doute, les voilà !

– Déjà ? s’étonne la poupée Made in Asia, allongée sur la pelouse. Ils sont en avance. Ils savent pourtant bien que ce n’est pas encore l’heure des visites.
– Et le Soldat Rose n’est même pas avec eux, ajoute la Panthère en ouvrant un œil. Ça ne sent pas bon, tout ça. Je dirais même que ça puche…

Arrivé au pied des escaliers, Joseph, désemparé, raconte :

– Il y a eu un drame. Le Soldat Rose s’est endormi dans un tas de blue-jeans, et maman, sans faire attention, a tout mis dans la machine à laver. Les jeans ont déteint, le Soldat Rose est devenu… bleu.
– Bleu ? Mais c’est la plus jolie des couleurs ! s’exclame, soulagée, Made in Asia. C’est la couleur de la mer, des yeux des princesses et du ciel en été.

La petite poupée virevolte dans l’allée quand elle tombe nez à nez avec le Soldat, recouvert d’un grand tissu blanc. Seules ses bottes bleues, son fusil et sa guitare dépassent.

– Hiiii ! Tu m’as fait peur ! dit-elle. Laisse-moi te regarder, tu dois être magnifique !
– Surtout pas, répond gravement le Soldat. Personne ne doit me voir comme ça, j’ai trop honte !

Un peu bizarre, ce Soldat. Enfin, pas très logique. Vous vous souvenez combien il était triste d’être rose ? Maintenant, le voilà triste de ne plus l’être. Faudrait savoir !

– Avant j’étais rose, mais j’étais unique. C’était moi. Maintenant, je ressemble à tous les militaires du monde, explique le Soldat dépité.
– On ne peut pas le laisser comme ça, déclare la Fiancée, il faut en parler aux autres jouets.
– Ils sont dans la salle de jeux, répond Made in Asia, mais, pour y aller, il faut traverser le dortoir. Et comme vous êtes en avance, les enfants font encore la sieste…
– Pas de temps à perdre, coupe Joseph, on y va quand même !

Il est bien courageux, ce petit garçon, parce que le surveillant du dortoir, devinez qui c’est ? L’ancien Gardien de nuit du grand magasin. Oui, oui, celui qui a été renvoyé après que Joseph a passé la nuit parmi les jouets. Faute professionnelle, a dit le Directeur.
Des boulots de gardien dans une petite ville, il n’y en a pas beaucoup. Alors, il est venu ici. Et s’il y en a un qui n’est pas commode, c’est bien lui…

La Panthère en peluche essaie de prendre un air féroce.

– Suivez-moi, ordonne-t-elle, on va traverser le dortoir. J’ai les yeux qui voient dans le noir absoluche.

La troupe se met en route, quand une drôle de voix l’arrête.

– Meuh, vous n’allez pas me laisser là toute seule ?

Une boîte ronde, taches noires et trous sur le dessus, s’avance sur ses quatre pattes. Joseph ouvre de grands yeux étonnés.

– C’est notre amie la Boîte à meuh, précise Made in Asia. Très sympathique, mais très sensible. À la moindre émotion, elle fait « Meuh ».
– Meuh, c’est même pas vrai…

La petite équipe arrive devant la porte du dortoir. Joseph tourne très doucement la poignée. Tous suivent la Panthère en peluche dans la grande pièce sombre. Dans les lits alignés contre les murs, les enfants dorment profondément. Pour l’instant, tout va bien !

En file indienne, sur la pointe des pieds, ils ont parcouru la moitié du chemin quand un grincement de sommier déchire le silence.
Pas de panique.
Un enfant qui bouge, sans doute.
La Boîte à meuh ne peut retenir un « Meuh » d’émotion.
Chacun, immobile, retient son souffle.
Hélas…
Réveillé, un petit garçon se redresse et aperçoit dans la pénombre… là… sous son tissu blanc…

– Aaaaah, un fantôme !

Presque instantanément, tous les autres enfants sortent de leur sommeil.

– Un fantôme ! Y’a un fantôme ! Un fantôme ! Un fantôme !

Pour la discrétion, c’est loupé !
Joseph attrape le Soldat Rose par le bras et se jette sous un lit.
Les autres jouets font de même.
La lumière s’allume, le Gardien de nuit entre, énervé :

– Qu’est-ce qui se passe ici ?

Le voilà qui, lampe-torche à la main, entreprend de regarder sous chacun des lits. C’est la catastrophe !
Sous le premier, rien.
Sous le deuxième, rien.
Rien non plus sous le troisième.
Il braque maintenant sa lampe torche sous le lit où sont cachées Made in Asia, la Panthère et la Fiancée. Il va forcément les découvrir !

– Faudra voir à me virer toutes les vieilleries qui traînent là-dessous, crie-t-il aux enfants. Ce n’est pas un dépotoir ici.

Le voilà à présent tout près du lit où se cache le reste de la bande.
Joseph retient sa respiration… Les deux mains sur la Boîte à meuh, il essaie d’étouffer les sons qui s’en échappent : mmmmmmmm… Le Soldat Rose est immobile, pétrifié sous son drap.

Le gardien se baisse, il va voir Joseph, c’est certain.
Soudain, la petite fille couchée dans ce lit se redresse :

– C’est moi ! C’est moi, le fantôme ! Je suis allée aux toilettes et je me suis enroulée dans mon drap pour ne pas prendre froid !

Le gardien bombe le torse, satisfait :

– Qu’est-ce que je vous ai toujours dit ? Ça n’existe pas, les fantômes ! Allez, tout le monde dort maintenant. C’est pas encore l’heure…

Il éteint la lumière et s’éloigne en soupirant.

Aussitôt, la petite fille se lève et rejoint les autres sous son lit.

– Merci, lui dit Joseph à l’oreille. Sans toi, nous étions fichus…
– Je ne comprends pas, chuchote la petite fille, pourquoi le Gardien n’a-t-il pas démasqué les jouets sous le lit ?
– Parce qu’il n’a plus ses yeux d’enfant, répond le Soldat Rose, il faut des yeux d’enfant pour nous voir bouger.

Puis il ajoute :

– Maintenant en avant, direction la salle de jeux !

Un vrai chef, ce soldat.
Rose ou bleu, il sait diriger les opérations.

– Je peux venir avec vous ? supplie la petite fille.
– Non, mission secrète ! décrète Joseph. Pas de filles dans les missions secrètes !

Vexée, elle se recouche tandis que la section spéciale s’échappe en silence vers le bout du dortoir.

Dans la salle de jeux, tous les jouets se rassemblent autour de Joseph.

– Réfléchissons tous, Il faut trouver une solution, et vite !
– Une solution à quoi ? demande la petite fille, en se faufilant hors du dortoir.
– Quoi ? Tu nous as suivis ? C’est toujours pareil avec les filles. Elles n’en font qu’à leur tête !

La petite fille n’a pour toute réponse qu’un sourire désarmant. Elle ajoute d’une voix irrésistible :

– Je m’appelle Jeanne.
– Eh bien, regarde sous le drap, Jeanne, tu comprendras…, soupire Made in Asia.
– Non ! crie le Soldat.

Trop tard. D’un geste vif, la petite fille a soulevé un coin du tissu. Elle commente :

– Des bottes bleues, un pantalon bleu, une veste bleue, un fusil bleu, un chapeau bleu. Où est le problème ? Il est magnifique, ce soldat ! Oooh ! Comme c’est mignon ! Ses joues deviennent toutes roses quand je dis ça.

Elle finit de tirer doucement sur le drap.
Un long murmure d’étonnement traverse le groupe des jouets. Même la Boîte à meuh reste muette tellement le choc est violent : le Soldat Rose est bleu. Uniformément bleu.

Honteux, comme s’il était tout nu, le Soldat baisse la tête tristement.

– Le problème, Jeanne, c’est qu’avant j’étais rose. Entièrement rose. Et que je ne sais pas comment retrouver ma couleur…
– Bon, on parle ou on s’organise ? intervient Joseph. À chacun son rôle. Le Conducteur du train électrique file au grand magasin demander conseil à l’Homme de ménage. Il a peut-être des détachants efficaces. En attendant, on cherche le Petit Chimiste, il va bien trouver une formule adaptée.
– Non, pas le Petit Chimiste ! s’écrient en chœur les jouets, qui se souviennent des multiples expériences ratées de leur scientifique favori.

Une petite voix nasillarde sort alors du fond d’un coffre :

– C’est comme pour tout, la solution, c’est l’eau et le savon.
– Ou, à la limite, le savon et l’eau, répète une autre voix identique.

Se dandinant l’un derrière l’autre, s’approchent alors deux canards en plastique. Vous savez, comme les petits canards jaunes avec lesquels on joue dans l’eau du bain.

– L’eau et le savon, c’est la première chose que l’on a essayée, dit Joseph. Ça ne marche pas et…

Il s’interrompt soudain, médusé.
Une sublime poupée descend d’une malle.
Jambes interminables, jupe courte, chevelure blonde.
Mais qui c’est, celle-là ?
Du bout de ses escarpins, elle pousse négligemment les Canards en plastique. Poc. Poc.

– Je suis la Poupée Pam. Je crois que j’ai LA solution. Les joues du Soldat sont devenues toutes roses quand Jeanne lui a fait un compliment. Au fond, c’est un grand timide. Pour le faire rosir des pieds à la tête, je peux lui faire… un strip-tease.
– Un quoi ? s’étrangle la Fiancée.
– Un strip-tease. Je vais vous montrer.

Et voilà la poupée qui tire tout doucement sur les fils qui dépassent de sa robe de laine. Rangée par rangée, la jupe devient plus courte. Déjà qu’elle n’était pas bien longue…

Et devinez quoi.
Ça a marché.
Le Soldat est devenu totalement rose.
Victoire ! Les jouets sautent de joie. Sauf que, petit à petit, la couleur vire au mauve pour redevenir carrément… bleue !
– Quelle poisse ! Ça ne tient pas.
– Vous pourriez peut-être vous rhabiller maintenant » dit d’un ton sec la Fiancée à la Poupée Pam, faudrait pas que vous attrapiez un rhume des fesses…

Les jouets pouffent de rire.
Joseph, dépité, les rappelle à la réalité :

– Une idée, quelqu’un d’autre ?

Jeanne fait un pas en avant :

– Demandons à mon jouet favori. C’est toujours à lui que je m’adresse quand j’ai un problème.

Elle s’en va vers un coin de la salle et revient tirant par la bride un vieux cheval à bascule.

– Je sais exactement ce qu’il faut faire, hennit le Cheval. Ah non, je sais plus ! Si, si, je sais ! Ah non, je sais plus.

Évidemment, un cheval à bascule, ça ne sait que balancer vers l’avant puis vers l’arrière. Dire une chose puis son contraire. Alors, pour avoir une réponse claire, ce n’est pas gagné. Si, c’est gagné. Non, ce n’est pas gagné…

Et le Conducteur du train électrique qui ne revient toujours pas. Il a séché ses cours de TGV ou quoi ?

Le Soldat finit par ne plus y croire.
Abattu, il s’assied sur une boîte de pâte à modeler.
Le pot se met à bouger.
Un tremblement de terre ? Manquerait plus que cela !
Le Soldat a juste le temps de sauter sur le côté.
Le couvercle de la boîte se soulève…
Un long bonhomme s’en extirpe.

– Allons, Soldat, du cran. Sois courageux. Moi aussi, au début, j’étais triste parce que je n’étais jamais celui que je rêvais d’être. Un jour, une étoile de mer et puis l’autre, une trompette. Et puis, une poule, une merguez, une coccinelle. Les enfants passent leur temps à me transformer. Eh bien, je me suis fait une raison. Avec le temps, toi aussi tu vas t’habituer, tu verras.
– T’es qui toi ? demande Made in Asia qui n’a jamais vu une silhouette aussi étrange.
– Pour l’instant, je suis un bonhomme en pâte à modeler, mais dès que la sieste va être terminée, ils vont me pétrir, m’écraser, me ratatiner, m’aplatir. Et je finirai comme toujours, en genre de crêpe.

La Panthère le regarde d’un air nonchalant.

– Si c’est là ton problème, c’est tout vuche. Reste en dehors de ton pot, tu vas sécher et devenir un dur, un vrai !
– Vraiment ?

Fou de joie, le bonhomme en pâte à modeler s’élance en hurlant à travers la pièce, glisse sur une petite voiture et s’écrase contre le mur comme… une crêpe.

Le train électrique, déboulant à toute allure, finit alors de l’aplatir complètement.

– C’est bien ce qu’il me semblait, dit Joseph. Il a surtout un cerveau en pâte à modeler…

Le Conducteur du train électrique, tout essoufflé, prend la parole.

– L’Homme de ménage dit qu’il y a des bombes de détachant surpuissant à pulvériser. Il a refusé de m’en donner une. Trop risqué. Quelques secondes de trop, et la mousse peut le brûler définitivement.
– Et tu lui as dit quoi ? s’inquiète la Fiancée.
– Rien, je suis allé discrètement dans la réserve, je me suis servi et…

Imitant un air de trompette, le Conducteur sort d’un wagon le précieux produit qu’il brandit comme un trophée.

– C’est trop dangereux, dit Joseph au Soldat. Pourquoi prendre ce risque ? Nous, on t’aime comme tu es, quelle que soit ta couleur. C’est ce que tu es à l’intérieur qui compte. Personne n’osera pulvériser ce produit sur toi, personne.

Tous les jouets baissent les yeux.

– À moins que…

C’est Jeanne qui parle. Toutes les têtes se tournent vers elle.

– À moins que le Gardien de nuit le fasse. Il n’a plus ses yeux d’enfant, il ne peut pas voir que le Soldat est vivant. Il se fichera bien de le couvrir de détachant…
– Le Gardien de nuit ? coupe Joseph. Mais c’est le pire ennemi du Soldat Rose. Il pense que c’est à cause de lui qu’il a été renvoyé du grand magasin.
– Il va le réduire en bouillie dès qu’il retrouvera sa couleur, si jamais il la retrouve ! ajoute la Fiancée, les yeux pleins de larmes.
– Confiance. Laissez-moi faire.

Elle est bien sûre d’elle, cette petite fille.
Espérons qu’elle ne se trompe pas…
Joseph court se cacher derrière une malle.
Jeanne appelle le Gardien qui arrive en marmonnant dans la salle de jeux.

– Qu’est-ce qui se passe encore ? C’est la journée, décidément.
– Je ne peux pas me rendormir, mon jouet est trop sale. S’il vous plaît, vous pouvez m’aider à le nettoyer avec cette mousse spéciale ?

Bougon, le Gardien de nuit répond qu’il n’aime pas les jouets, à part les pistolets et les sabres laser.

– Ça tombe bien : c’est un soldat.
– Mais… je le reconnais, hurle le Gardien. Rose ! Il était rose. D’un rose ridicule ! C’est à cause d’une de ces saletés que j’ai été viré du grand magasin, et tu voudrais que je…
– À cause ? Vous voulez dire : grâce. Avant vous gardiez des paquets de nouilles et des pots de yaourt, maintenant vous protégez des enfants. C’est quand même beaucoup mieux, non ?

Et elle lui pose un bisou sur la joue.
Un gros bisou sonore.
Smaaaaack.

Le gardien de nuit est troublé.
Il y a bien longtemps qu’on ne lui a pas fait un bisou, un vrai.
Un peu ronchon par habitude, il prend la bombe et pulvérise le produit sur le Soldat, un peu crispé.

– Trois minutes, hein, pas une seconde de plus, c’est important ! répète Jeanne.
– J’ai pas de montre, je vais faire au pif, comme pour un œuf à la coque…

Le temps passe. Les secondes s’écoulent.
Peu à peu, la mousse se colore en bleu.

– Ça fait combien de temps, là ?
– Aucune idée ? Vaut mieux laisser un peu plus…

Soudain, un « Meuh » angoissé retentit.
Bientôt suivi d’un deuxième.
« Meuh ! Meuh ! »

– C’est la boîte à Meuh, dit Jeanne. Elle doit angoisser parce que les trois minutes sont écoulées. Vite, il faut enlever le produit !

Le Gardien souffle doucement sur le Soldat.
Un petit nuage de mousse bleue s’envole et retombe par terre.
Et là, miracle !
Le Soldat est rose, de la tête aux pieds. Comme avant.
C’est la fête dans la salle de jeux.
Le gardien semble surpris :

– C’est une mousse magique ou quoi ? Non seulement elle détache, mais, en plus, elle donne vie aux jouets.
– C’est le baiser de Jeanne, rectifie le Soldat. Il vous a redonné vos yeux d’enfant.

Tous les jouets se rassemblent autour du Soldat et de la Fiancée, émue.
La sieste est terminée, les enfants sortent du dortoir.
Joseph quitte sa cachette et rejoint la grande farandole.
Quel charivari !
Prenant le Gardien par la main, Jeanne entre aussi dans la ronde juste à côté de Joseph qui, tout à coup, se frotte les yeux, comme s’il avait mal.

– Ça ne va pas ? s’inquiète-t-elle.
– Je… Je crois que suis en train de perdre mes yeux d’enfant, répond-il avec un sourire malicieux. Tu pourrais, peut-être, me donner un bisou ?